Texte: Siméon Calame
«Mais quel est cet ovni?» Une grosse claque. C’est ce que l’on se dit en piochant la dernière mignardise du menu huit plats au tout nouveau Luciole, à La Chaux-de-Fonds (NE) autoproclamé «premier restaurant gastronomique végan de Suisse romande». Agréablement assis dans l’une des deux salles aux tons bleu marine de l’ancien Carvi Noir (13/20), il est 22h30. Derrière nous se sont écoulées trois heures de bonheur, durant lesquelles douceur de vivre et surprise constante ont valsé main dans la main. Main dans la main, c’est aussi de cette manière que virevoltent Gabi Dubuis et Danny Baker, que l’on remercie de s’être rencontrés en 2018 au fin fond du Pays de Galles. Elle a 26 ans, lui 31, et leur premier restaurant est un succès, avec plus de 75% des matières premières qui sont bios. Ici, on est accueilli par Gabi, tout sourire. C’est elle qui présente une courte carte de boissons originales et bien trouvées. Notamment ce rouge pétillant du domaine Rohner Erni, dans les Grisons, une merveille!
(Grande photo ci-dessus: Danny Baker et Gabi Dubuis, et la courge butternut à la banane fermentée)
Tartelette zéro déchet. Originaire du Val-de-Ruz, Gabi découvre le service à 15 ans aux restaurant des Halles, à Neuchâtel, puis part étudier au Pays de Galles. C’est là que le jeune cuisinier Danny Baker tombe amoureux d’elle. À deux, ils font leurs premiers pas dans l’univers de la gastronomie étoilée entre Manchester et Londres (notamment au Gauthier Soho, végan étoilé à la capitale, où Danny apprend à travailler les végétaux), avant d'atterrir à La Chaux-de-Fonds et de mettre sur pied leur «rêve d’une vie». En guise d’amuse-bouches, un poivron farci à la purée de pignons de pin et aux deux myrtilles lustrées au rhum, côtoie un croustillant rösti (le coup de foudre helvétique du chef) en forme de fleur qui renferme une crème de truffe. La fine «tartelette 0 déchet» renferme des chutes du menu du midi retravaillées en pickles, purée et brunoise: ce soir-là de la betterave, de l’oignon et de la pomme.
Sauce à la banane fermentée. Puis arrive le bouillon dashi à l’oignon et au thé earl grey. Fantastique, il s’illumine lorsque l’on plonge quelques secondes un bouquet d’herbes fraîches servi à part. C’est ludique, c’est pertinent, c’est excellent. Le pain, lui, est un nuage servi tiède, que l’on garnit d’un beurre végétal préparé à base de beurre de cacao désodorisé (un beurre de cacao classique mais à l’odeur et au goût neutres) et magnifié par du kumquat fermenté et une huile de livèche. Oups, il est fini plus vite que prévu! Alors qu’on commence à se demander s’il est possible de rester à ce niveau, arrive le roulé de courge butternut. Il est fondant à cœur et croustillant sur le bord. Sa sauce à la banane fermentée, d’inspiration maldivienne (là-bas, elle accompagne le thon, nous dit-on), enrobe la courge d’un soyeux voile de gourmandise. Une pointe de piment et une touche sucrée en font une entrée de classe mondiale. Le petit plus? La tuile de céleri rave, croustillante et préparée avec les chutes du légume.
Tatin fondante et crème anglaise à la vanille. Ensuite, le champignon «pompon blanc» arrive fondant et nappé d’une sauce XO au sherry. Il est escorté d’une purée de céleri rave crémeuse, d’une saladine de pickles de chou-fleur et d’un ketchup de prunes. Avec son acidité en trame de fond, ce plat de résistance offre un joli aperçu de la technique du chef aux moustaches enroulées à l’anglaise, que l’on aperçoit seul dans sa minuscule cuisine et qui ébahit autant en salé qu’en sucré. La preuve avec la poire pochée, à la texture ferme et fondante, qui se vêt d’un yaourt émulsionné. Le concombre apporte un shot de fraîcheur et une légère amertume qui plaît, à l’instar de ce petit côté épicé. Enfin, la Tatin est exceptionnelle: un millefeuille de pomme fondante déposé sur un sablé croustillant et bordé d’une intense crème anglaise à la vanille.
Un véritable tour de force. À une époque où végétalisme, locavorisme et biodynamie sont portés en étendard d’une cuisine moderne, Gabi Dubuis et Danny Baker réussissent le tour de force d’équilibrer les techniques et les saveurs de manière pertinente. Les fermentations, notamment, sont utilisées avec doigté. Et on ressort du restaurant avec la satisfaction d’avoir dégusté une cuisine qui fait du bien, qui déroute et qui «envoie du lourd».
_
Luciole
Rue Daniel-Jeanrichard 9
2300 La Chaux-de-Fonds
032 914 04 59
Horaires:
Mercredi - samedi: 11h - 14h30 et 18h - 22h45