Rococo. Lorsqu'il sort de sa cuisine pour nous accueillir, c'est un peu la surprise. C'est-à-dire qu'Ivan Baretti (grande photo ci-dessus), jeune chef plutôt cool de 35 ans, dénote quelque peu dans le cadre chargé et rococo de son restaurant Tosca (16/20), à Genève. Murs colorés, tableaux, photos, statues, rideaux lourds comme des enclumes, fresques au plafond, piano à queue… On ne sait plus où donner de la tête dans ce décorum, ou ce capharnaüm (c'est selon) au charme désuet. «On va refaire la déco ce printemps», s'excuse-t-il presque devant nos taquineries. Avant de prévenir: «ça restera dans un esprit Renaissance italienne». Classique, en somme. Mais après avoir passé du temps avec lui, on comprend mieux que malgré son âge, Ivan Baretti est un chef pour qui le classique, ça compte. C'est même le creuset de sa cuisine.
Tout en discrétion. Seize points, une étoile Michelin, membre des Grandes Tables de Suisse: les galons d'Ivan Baretti, chef du restaurant italien le mieux noté à Genève, contrastent avec sa discrétion. Pas du genre mégalomaniaque, il préfère passer son temps libre à bricoler chez lui ou à se rendre en montagne, à skis ou à VTT, plutôt qu'à plastronner sur Instagram. Un type simple, un peu comme sa cuisine. Risotto du pêcheur, raviolis del plin au faisan, ses intitulés sont des classiques de la Botte. Et il y tient: «On ne peut pas faire de cuisine gastronomique sans respecter la tradition», assure-t-il. Son ravioli ouvert, farci de lapin confit, est ainsi un hommage à un immense classique de la gastronomie italienne, le raviolo aperto de Gualtiero Marchesi, premier chef à avoir obtenu trois étoiles dans la Péninsule.
Asperges vertes au naturel, pollen et œuf fermier. Ivan Baretti twiste le plat avec du fruit de la passion.
Raviolis aux girolles, carottes glacées, jus au vin blanc, laitue de mer.
De la légèreté. La cuisine d'Ivan Baretti n'est pas figée pour autant. Il l'a améliorée en douceur depuis 2020, lorsqu'il a repris les commandes du restaurant, après avoir été le second de Saverio Sbaragli. Il a mis dans les assiettes plus d'élégance et de légèreté, caractéristiques qu'il tire d'autres grands chefs qui l'inspirent, tels que le trois-étoiles Yannick Alléno, dont il estime qu'«il a révolutionné les sauces en amenant plus de légèreté et moins de réduction, et en replaçant le produit au centre». Presque à l'italienne, en somme.
Lourde étoile. Toujours est-il qu'il a ainsi su maintenir le rang de Tosca. «C'était la première fois que j'étais vraiment le seul chef, je n'avais que 30 ans, alors bien sûr que j'avais la pression quant à la possible perte de la note et de l'étoile, se souvient-il. Ce n'était pas tant pour moi, mais surtout pour la brigade et tout le personnel. C'est une lourde responsabilité. Mais maintenant ça va mieux». Il possède également le Puccini attenant, où il décline une cuisine bistronomique.
Artichaut gastronomique. Ces jours, il se réjouit d'apprêter en antipasti l'artichaut mammola à la Romaine cuit au citron, vin blanc et présenté entier, «comme une fleur». Sa touche gastronomique: y déposer au centre une fondue de pecorino romano, et une sauce sirupeuse qui passerait pour un jus de viande si elle n'était en réalité préparée à partir des parures du même légume. L'inspiration lui vient peut-être d'un autre chef qu'il admire, le trois-étoiles Enrico Crippa, du Piazza Duomo à Alba en Italie, «un chef avant-gardiste, à la pointe du végétal». La plupart de ses plats sont pensés de cette façon, une solide base classique améliorée avec une touche de modernité.
Artichaut mammola à la Romaine cuit au citron, vin blanc et présenté entier, «comme une fleur».
«Sous-bois», un dessert de myrtilles confites en sorbet agrémentés de Chartreuse verte, chocolat noir Domori et cèpes.
Rester fidèle. Il n'est pas simple d'élever un classique au firmament de la haute gastronomie. Bien entendu, cela demande une parfaite connaissance des saveurs et des bases techniques, mais un chef tel que lui y parvient sans peine. Ce qui est davantage difficile, «c'est de rester fidèle à la recette originelle». Quoi de plus frustrant en effet, que de promettre un souvenir si le résultat final ne satisfait pas les attentes que l'on a de ces madeleines de Proust? «Il faut bien réfléchir et comprendre comment les techniques de la gastronomie moderne peuvent nous aider», assure Ivan Baretti. C'est ainsi qu'il cuit le lapin accompagnant les ravioles à très basse température, afin d'en préserver toutes les saveurs et les arômes.
Une enfance dans les casseroles. Pour ne pas s'écarter de la sacro-sainte tradition, Ivan Baretti dit se fier à ses souvenirs. Enfant, le jeune Ivan passe son temps avec ses grands-parents, propriétaires d'une petite trattoria à La Spezia, en Ligurie. Élevé «au milieu des casseroles», il a pris tout ce que ses aïeux lui ont transmis: un amour indéfectible de la cuisine, une passion pour le terroir. Car dans quel pays, plus que dans tout autre, voue-t-on un culte au produit, si ce n'est en Italie? «Mes grands-parents produisaient leurs propres légumes, élevaient des animaux et faisaient leur pain. Tout était fait maison!», se remémore le chef, trente ans plus tard.
Le Tosca va s'offrir une toute nouvelle décoration ce printemps.
Ivan Baretti se base sur ses souvenirs de plats d'enfance pour les sublimer à un niveau gastronomique.
D'Il Lago à Tosca. Après une école hôtelière à La Spezia, Ivan Baretti se sent immédiatement attiré par la haute gastronomie. Il se spécialise, puis rejoint Il Lago à Genève (15/20), où il devient - déjà - le second de Saverio Sbaragli, qui rafle une étoile Michelin en 2013. Puis Ivan Baretti repart de l'autre côté des Alpes, où il affine son art dans plusieurs restaurants entre Milan et Venise. Un petit tour en Espagne, et le revoilà finalement à Genève, amoureux qu'il est de la région, de sa nature et de la position stratégique de la ville, qui lui permet d'essaimer dans toute l'Europe pour découvrir ses meilleurs restaurants. «Pratique pour se faire une culture!», sourit-il.
Maison faite maison A l'avenir, Ivan Baretti espère aller plus loin avec Tosca, et décrocher plus de points et d'étoiles. Ses idées sont claires, sa brigade est prête, sa cuisine spacieuse et étincelante digne de celle d'un palace. Tout semble s'aligner. Ne lui reste plus qu'à décider comment redécorer son restaurant. «On ne fait rien au hasard. Tout sera fait maison.» Si c'est aussi bien qu'en cuisine, on peut se rassurer.
Photos: Tosca Genève