Roi des cabillauds. C'est la période de l'année que les amateurs de cabillaud préfèrent: de janvier jusqu'en mars ou avril, le cabillaud skrei est de retour sur les tables. Issu de la pêche de ligne, il est connu comme le «roi des cabillauds».
Il ne s'agit pas d'une espèce spécifique de poisson, mais d'un cabillaud pêché exclusivement en hiver. Le mot skrei dérive du norvégien et signifie «vagabond» en référence à la transhumance de plus de 1000 km que ce poisson effectue chaque année depuis les eaux arctiques pour rejoindre son lieu de reproduction, plus au sud, le long de la Norvège et jusqu'à la Mer du Nord.
Pour les chefs, c'est un produit prisé qui bénéficie parfois d'un label, «skrei de Norvège». Pour y prétendre, il doit avoir été pêché à la palangre ou à la ligne en Norvège, saigné directement à bord et nettoyé à l'eau de mer. «Le poisson doit arriver à terre dans un délai de quatre heures sans interrompre la chaîne du froid», explique Luca Bianchi, responsable poissons pour Bianchi, fournisseur auprès de la restauration suisse. L'entreprise zurichoise en a déjà commandé une demi-tonne.
Parmi ses clients figure le chef du Njørden à Aubonne (16/20), Philippe Deslarzes (grande photo ci-dessus). Bi-national suisse et suédois, nouveau membre des Grandes tables de Suisse mais surtout passionné de pêche, il sait comment taquiner (et cuisiner) ce poisson.
Qu'est-ce qui rend le cabillaud skrei si particulier?
C'est un poisson qui vit en eaux très froides loin au Nord, et qui doit se nourrir davantage pour effectuer sa longue transhumance hivernale, ce qui lui donne une meilleure qualité de chair. Lorsqu'on en pêche, on voit tout de suite qu'ils sont beaucoup plus gros: certains poissons peuvent peser jusqu'à 14 kilos, contre 5 à 7 kilos pour des cabillauds pêchés en été. Les différences de goût sont subtiles. Sa chair reste blanche, mais elle est un peu plus grasse et aussi un peu plus juteuse que celle des autres cabillauds. Sa texture est plus ferme, plus fondante, et la chair se détache en lamelles.
Quand démarre la saison?
La période du skrei court de janvier à avril. C'est une pêche fortement régulée, ceci afin de préserver les stocks dans les mers. Pour moi, janvier est encore un peu tôt. Je préfère attendre un peu, car il est encore meilleur à partir de février. Quand on aime vraiment ce produit, on attend. Nous le mettrons à la carte du Njorden à partir de mi-février. Je trouve dommage de voir du cabillaud sur les cartes des restaurants toute l'année. Il est tellement banal qu'il est devenu presque quelconque, un peu comme le saumon. Alors qu'un cabillaud sauvage pêché à la ligne, ça n'a rien à voir! Lorsque les gens y goûtent, ils se disent «waouh, en fait c'est ça, un vrai cabillaud!»
Et… c'est cher?
Non, pas spécialement. Skrei renvoie surtout à la saison, plus qu'à une qualité. Pour respecter ces poissons, je les achète entiers, et j'essaie de les valoriser au maximum en utilisant les arêtes et la peau pour le fumet et les sauces par exemple. Ce n'est pas facile de tout valoriser, car il faut savoir que la tête est énorme et peut représenter jusqu'à 30% du poids de l'animal! Dans les pays scandinaves, on cuisine même la langue du cabillaud, que les gens adorent.
Comment préparez-vous le skrei au restaurant?
Je n'ai pas encore décidé de la recette qui sera servie au restaurant gastronomique. Au Njord Café, mon sous-chef Olivier Alvarez privilégie une cuisson vapeur, quelque chose de subtil pour ne pas dénaturer le poisson. On amène de la gourmandise avec une sauce crémeuse et anisée, et un travail autour du céleri.
Et que conseillez-vous si l'on veut en cuisiner chez soi?
Je vous propose deux modes de cuisson, à alterner selon les envies. Pour un maximum de saveurs, cuisez-le à la vapeur. C'est tout simple, et c'est ce qui donne une chair juteuse et gourmande. Sinon, essayez le cabillaud poêlé au beurre salé, comme me le faisait ma maman. On le colore juste pendant 30 secondes, puis on termine la cuisson à feu doux en l'arrosant de beurre fondu. Le beurre éclipse un petit peu le goût du cabillaud, mais avec des pommes de terre à l'eau et un peu d'aneth, c'est quelque chose d'hyper gourmand. Pour moi, c'est une vraie madeleine de Proust!
Photos: Victor Lequet