Photos: Valais/Wallis Promotion - Sedrik Nemeth
Saison blanche au resto? «La carte était prête et les asperges y tenaient une grande place. J’espère quand même pouvoir la présenter à nos clients durant quelques semaines, quitte à la décaler un petit peu plus tard.» A Sion, Damien Germanier (17/20) n’est pas confiant en ce qui concerne la réouverture des restaurants, mais garde une lueur d’espoir quant à la possibilité de proposer les précieux légumes. A la suite d’une réflexion sanitaire et de quelques rapides calculs financiers, le chef sédunois a décidé de ne pas proposer d’offre à l’emporter ou de service de livraison. Ce qui lui aurait pourtant permis de travailler (notamment) les 200 kilos d’asperges qu’il commande chaque saison comme il l’aurait souhaité.
Quelques kilomètres plus loin, Didier de Courten a fait le même choix, posant momentanément un «stop» au Terminus de Sierre (19/20) ainsi qu’à sa Brasserie (15/20) juste à côté. Alors qu’il commande d’habitude 350 kilos de tiges chaque année, le chef doublement étoilé a préféré suivre au plus près les règles édictées par la Confédération, quitte à se passer d’asperges en 2020…
Dans son Nouvo Bourg de Saillon, Grégoire Antonin (15/20) est plus optimiste: «Evidemment, je suis frustré de ne pas pouvoir m’occuper de ces délicieuses tiges. D’autant que, d’habitude, j’en passe 250 kilos par année. Mais la carte printanière est au frigo, prête à être ressortie dès la réouverture! Je suis d’ailleurs relativement confiant quant à cette dernière.» Confiant jusqu’à imaginer pouvoir servir asperges et consorts de mai à juin. Certes, mais encore faut-il les avoir cueillies…
Des champs sans gens. Eric Cheseaux, asparagiculteur et viticulteur à Saillon, qui livre 60% de sa récolte à des restaurants, s’est organisé depuis début février, sans forcément penser à cette pandémie de coronavirus dès le départ: «J’engage les mêmes personnes pour les vignes et les asperges, donc j’ai mon équipe depuis que les premiers travaux vignerons ont débuté. Je suis néanmoins conscient que beaucoup de collègues n’ont pas cette chance.» En effet, beaucoup de producteurs (et pas seulement pour les asperges) sont en manque de main-d’œuvre, en grande partie à cause des mesures restrictives aux frontières dues au coronavirus.
Dans ce même village thermal, Maurice Dussex a vu la moitié de ses employés rentrer dans leur pays par peur du virus, alors que l’autre moitié n’est même pas arrivée, pour les mêmes raisons. Le fournisseur de Didier de Courten, de Franck Giovannini (19/20) ou encore de Grégoire Antonin explique que «la seule possibilité aujourd’hui, c’est de trouver des employés indigènes et de les former sur le tas. Mais c’est difficile et ça prend du temps, car la récolte des asperges est un processus complexe…» Idée que soutient Olivier Borgeat, secrétaire général de l’Interprofession des fruits et légumes du Valais (IFELV): «En collaboration avec Valais/Wallis Promotion (VWP), nous faisons beaucoup de communication sur les plateformes d’embauche afin d’aider tous ces métiers. Tout le monde peut ainsi mettre la main à la pâte.»
Des asperges en courrier A. Avec 71 hectares de culture aspergière (15% de la production suisse), les producteurs valaisans s’apprêtent à en récolter plus de 450 tonnes ce printemps. Mais entre la perte des livraisons aux restaurants et le manque de main-d’œuvre, on peut légitimement voir venir le surplus de tiges dans les champs ou dans les entrepôts. Mais même si ces sombres pensées froissent un peu les asparagiculteurs, ces derniers ne se laissent pas aller et imaginent des manières de contourner l’obstacle. «La chance que l’on a, avec l’asperge, c’est qu’elle se récolte de manière échelonnée. Ce ramassage étiré dans le temps permet de mieux s’organiser face au manque de personnel, et un meilleur écoulement de ces superbes tiges», explique Olivier Borgeat, qui souligne aussi que les prix n’ont pas bougé depuis six ans, et que 2020 ne devrait pas faire exception.
Puisqu’un tiers des récoltes arrive d’habitude chez les restaurateurs, plusieurs maraîchers valaisans se sont adaptés et ont d’ores et déjà opté pour une solution en vogue ces temps chez les privés: la livraison. Les asperges arrivent dans la boîte aux lettres des clients le jour suivant la cueillette, ce qui en assure une fraîcheur parfaite. Maurice Dussex propose même son coffret «Mariage parfait» mêlant asperges et bouteilles de vin du domaine familial. Autre possibilité: la vente directe, qui se démocratise encore plus cette année alors que les marchés sont fermés. L’IFELV et VWP ont rapidement fait un pas dans cette direction, en offrant de la visibilité à tous les producteurs valaisans qui proposent ce service, asparagiculteurs ou non.
Quand c’est fini, ce n’est pas fini! Si chacun propose son idée, tous s’accordent sur le fait que le consommateur a aussi un rôle à jouer. «Et pas seulement maintenant, signale Damien Germanier. Les paniers gourmands, la vente directe et les mini-marchés sont des idées super, mais il ne faudra pas relâcher les efforts pour aider les indépendants lorsque la crise diminuera! N’oublions pas que beaucoup de petits commerçants étaient dans une mauvaise situation déjà bien avant l’arrivée de ce virus.» C’est notamment dans ce but que l’IFELV a axé son aide sur des discussions entre petits et grands commerces. Le secrétaire général de l’organe faîtier explique qu’il y a un marché pour tous, mais que cette situation extraordinaire amène une prise de conscience à large échelle. Et pourtant, même dans ces conditions, que faire pour ne pas perdre toute la récolte?
Soupe de luxe. Les asparagiculteurs ont leurs idées, comme l’utilisation de box de réfrigération permettant trois ou quatre semaines de garde en plus. Eric Cheseaux mentionne de son côté la possibilité de congeler les tiges pelées et blanchies, ou alors d’en faire de la soupe puis de la congeler pour la déguster plus tard. «De la soupe de luxe!» précise Damien Germanier, qui privilégie des techniques de fermentation. Même genre d’idées à Sierre, où Didier de Courten conserve ses asperges en pickles au vinaigre, stérilisés.
Profitons-en maintenant! Mais aujourd’hui, les asperges sont là. Et si l’on ne peut pas les déguster à la table des grands chefs, ces derniers vous proposent leurs recettes printanières. Grégoire Antonin les décline en fricassée, accompagnées de vinaigrette à l’orange, de rebibes de fromage d’alpage et de quelques morilles fraîches. De son côté, Didier de Courten a imaginé un clafoutis facile et sans prise de tête, pour lequel il utilise toute la tige, sans déchet. Et Damien Germanier «aime beaucoup les poêler ou les passer au barbecue, avant de les servir avec une petite vinaigrette et un bon jambon. Mais vous savez, l’asperge est impossible à rater et, surtout, elle se décline à l’infini!» Vous l’avez compris, il ne vous reste qu’une chose à faire: pelez ces asperges et faites tourner votre imagination!