Photos: Sedrik Nemeth
Une première pour ce couple. «Un journaliste? Oh, j’aime pas trop ça…» Il est environ 9 heures ce mardi matin de septembre lorsque, en contrebas du Mont-Gond, dans les hauteurs de Nendaz, nous rencontrons par hasard «Birne», dont la réaction illustre bien à quel point la thématique de la chasse est sensible. La quarantaine grisonnante, drapé dans des vêtements de camouflage gris-vert, ce chasseur est un copain de Vincent et Florian, qui ont accepté de nous accompagner à la découverte de leur pratique. Ces derniers font partie d’un groupe de cinq chasseurs, amis de Clara Laurent et Adrien Lopez, le couple à la tête du restaurant Au Vieux Nendaz (12/20). Vincent, Florian, Max, Raph et François, cinq solides gaillards au tutoiement facile, nous ont donc accueillis à 5 heures du matin dans leur cabane rustique à 2100 mètres d’altitude. Puis, nous sommes partis pour quelques heures de traque entre rochers, arolles et hautes herbes. «C’est la première fois que nous accompagnons des chasseurs», précise Clara.
Un chef qui séduit ses chasseurs. Clara et Adrien, 30 et 33 ans, font partie d’une petite minorité de restaurateurs qui optent pour une chasse locale et sauvage. «Cette tradition ancestrale nous tient à cœur. En nous installant à Nendaz, c’était une évidence pour nous de valoriser la chasse en cuisine. Et ça l’est encore plus maintenant que nous avons découvert que c’est un art», explique Adrien, qui ne pensait pas obtenir une chasse de la vallée dès la première année. «Nous avons rapidement sympathisé avec un chasseur ami des anciens patrons. Durant l’été, il nous a vendu un chevreuil. Alors je l’ai préparé de différentes manières pour les lui faire goûter, à lui et à ses amis chasseurs. Tous ont été séduits!»
À la chasse à la marmotte. Il faut dire que la cuisine de ce sportif de haut niveau (il court en montagne deux à trois heures par jour et a parcouru l’été dernier les 360 kilomètres du Swiss Peaks Trail) ne laisse personne insensible. L’année dernière, Adrien a régalé ses hôtes avec un chamois confit et sa polenta à la truffe, avec un tataki de biche au jus intense, aussi, et avec un pâté en croûte de sanglier et de chevreuil. Depuis, ce dernier s’est vu ôter la pâte qui le couvre, remplacée par des pistaches.
Un pâté en croûte de folie. Ce pâté a fait le bonheur du groupe de chasseurs à l’apéro de 11h30, marquant la fin de cette journée en montagne qui avait démarré au petit-déjeuner, à 5 heures: un vrai moment de partage, de rires et d’amitié. «Nous nous partageons aussi la majorité des bêtes que nous tirons et collaborons avec quelques restaurateurs, explique Max. C’est gratifiant de voir notre travail magnifié par un chef de cuisine.» Ce matin-là, une rare marmotte a été tirée, offerte à Adrien pour qu’il la sublime dans sa cuisine. Clara continue: «C’est toujours un plaisir d’avoir une tablée de chasseurs au restaurant. Ils profitent du moment, connaissent la valeur de ce qu’ils mangent et respectent notre travail.» Ce qui n’est pas le cas de tous les clients...
Ici, pas de selle de chevreuil. Le Vieux Nendaz est un restaurant «en» montagne, mais pas un restaurant «de» montagne: «Avant nous, la tenancière servait depuis quarante ans des fondues au fromage et bourguignonne. La terrasse était un lieu de passage ouvert toute la journée où les randonneurs buvaient des sodas et mangeaient des coupes glacées, raconte Clara. Nous devons encore expliquer que notre établissement est devenu un restaurant et que nous avons des heures de fermeture.» Tout le monde ne comprend cependant pas. Certains se montrent même carrément insultants envers les deux jeunes entrepreneurs, pour qui le Vieux Nendaz est la première affaire.
Ne pas épater la galerie. «Nous souhaitons que les gens viennent ici pour la curiosité et non pour le besoin, complète Adrien. Cela signifie: pas de frites, d’assiettes surremplies, ni de perches congelées. Par contre, même si je sais faire des sphérifications et utiliser des techniques précises, je ne veux pas épater la galerie, mais faire les choses bien.»
De Paris à Nendaz via Montheron. La chasse est un bon exemple: le chef ne sert pas de selle de chevreuil, mais des terrines ou des ragoûts. Ou ces excellents atriaux de sanglier et de chevreuil, révélés par un jus de viande et un autre de persil. Une chasse à sa manière, qui respecte les animaux, ainsi que le travail des chasseurs. Une authenticité qui touche la majorité des convives.
Rencontre entre les macarons. Si ces amateurs de randonnée et de grand air semblent être à Nendaz comme des poissons dans l’eau, venir ici n’était pas leur objectif. Il s’agit plutôt d’«un hasard complet». Mais cette situation, hors des sentiers battus mais proches des sentiers de montagne, convient bien à ceux qui se sont rencontrés... en plein Paris, lorsqu’ils travaillaient tous deux chez Ladurée. Lorsque l’envie de rentrer en Suisse a pris Adrien, il a emmené son amoureuse à Lausanne, «un entre-deux acceptable entre la Ville Lumière et la montagne», sourit Clara. Après les cuisines de l’Abordage à Saint-Sulpice, elle s’est engagée au service, au Beau-Rivage Palace à Lausanne notamment. Adrien, lui, a passé cinq années à l’Abbaye de Montheron (16/20), puis une au Château de Vuissens (FR), où il a décroché 14 points. Tout ça, c’était avant de grimper à Nendaz, pas loin du Mont-Rouge, où il avait d’ailleurs appris le travail de la chasse.
À mille lieues des idées reçues. La chasse, cette saison gastronomique qu’une immense majorité de consommateurs attend avec impatience dès la sortie de l’été, apporte toutefois son lot de contrastes et de prises de bec entre grand public, restaurateurs et chasseurs. «Non, nous ne sommes pas des tueurs sanguinaires qui tirons 20 bêtes chaque matin, explique Vincent, père de famille et chasseur depuis l’âge adulte. C’est une activité difficile. Durant la saison, nous partons lorsqu’il fait nuit, dans le froid, et marchons longuement jusqu’à nos postes. Nous pouvons attendre quatre heures au même endroit, sans même forcément voir d’animal. Et il n’est pas rare de rentrer bredouille après six heures à vadrouiller dans la montagne. Il y a beaucoup de règlements, de quotas par chasseur, d’horaires et de zones géographiques à respecter.»
Une découverte qui change la donne. Clara Laurent confirme: «Cette expérience nous fait appréhender la chasse différemment, car nous n’imaginions pas tout le travail, les compétences et les capacités physiques nécessaires pour n’avoir au final qu’une marmotte ou qu’un chamois. Je ne tolérerai plus qu’un client ne finisse pas son assiette!» conclut-elle en souriant.