La tendance sans alcool revue au Beau-Rivage

Depuis quelques années, les propositions d’accords mets-boissons sans alcool explosent. Mais rares sont ceux qui sont poussés aussi loin que les menus du Groupe Pic. Au Restaurant Anne-Sophie Pic (18/20) au Beau-Rivage Palace à Lausanne, la cheffe aux multiples étoiles a lancé cet été un tel menu, secondée par la cheffe sommelière du groupe, Paz Levinson. Comment comprendre ce phénomène? Interview de cette dernière, grande amatrice de vin sans alcool (si si, ça existe!).

Paz Levinson, vous êtes la cheffe sommelière du groupe Pic, et vous faites parler de vous avec vos accords mets-boissons sans alcool. Pourquoi faire cela, vous voulez suivre une nouvelle tendance?
Non, je ne souhaite pas suivre de tendance, mais simplement faire mon métier. On pense souvent à la sommelière ou au sommelier uniquement centrés sur le vin. Mais ce n’est pas le cas: nous nous occupons - et devons donc bien connaître - de toute boisson qui peut être servie dans un restaurant. Cela touche les vins, les bières et les alcools forts, mais aussi les cafés ou les tisanes, pour ne citer que les plus connus. Ces deux dernières boissons m’intéressent énormément, et ma maman faisait beaucoup de kombucha quand j’étais petite: c’est un univers dans lequel je me sens bien. Aussi, il faut rappeler que nos accords «classiques» avec alcool laissent toujours la place à des boissons «sans». Ce n’est donc pas complètement nouveau.

Vous n’avez pas déjà assez de travail avec le vin?
Si, bien sûr (rires), mais ce n’est pas cela qui compte. Les clients qui boivent du vin sont très heureux lorsque nous pouvons leur dégoter LA bouteille qui les comblera. Mais bien souvent, ce sont les seules personnes qui sont prises en compte lors du repas. Pour certaines sommelières et certains sommeliers, la personne qui ne boit pas d’alcool «n’existe pas» autour de la table et est régulièrement délaissée. Je trouve cela scandaleux, car nous sommes au service des autres. Pour ma part, je suis angoissée lorsque je ne peux pas répondre aux demandes des clientes et des clients.

C’est donc une question humaine avant gustative?
Ce n’est pas l’une ou l’autre, mais les deux. Avoir une infinie diversité de clients demande aussi une certaine capacité à créer de nouvelles choses, ainsi qu’une bonne réactivité sur le moment. Pour cela, je sais que je peux faire confiance aux équipes des différents restaurants.

Vous avez lancé un premier menu accordé sans alcool ce printemps à Valence, puis cet été au Beau-Rivage Palace (18/20) à Lausanne. Comment avez-vous créé cet accord «lausannois»?
Il y a plusieurs aspects. En premier lieu, je discute avec la cheffe de nos envies, de nos idées. Puis, puisque chaque restaurant signé Anne-Sophie Pic a une carte et des menus différents, je me suis basée sur les plats spécifiques au restaurant de Lausanne. Ensuite, entre les productrices et producteurs que je connaissais déjà en Suisse romande, celles et ceux avec qui l’équipe sur place travaille déjà, et les produits que nous avons trouvés ensemble, nous avons construit une base solide d’ingrédients ou de boissons propres à la région lausannoise ou romande en général. Enfin, et c’est la chance que nous avons en tant que groupe, nous profitons des produits que les autres restaurants du groupe utilisent. Par des collègues à l’interne, j’ai découvert en Allemagne des rieslings sans alcool, somptueux! Finalement, c’est comme pour la cuisine: c’est une recherche constante de nouveautés et d’ingrédients toujours meilleurs.

Sublimer les boissons des autres c’est bien, mais vous allez aussi un peu plus loin?
Bien sûr. Nous sommes en train de construire un très grand laboratoire à Valence, afin de mieux comprendre l’univers des boissons. L’objectif est d’aller au bout de ce qui est possible, jusque dans les compositions chimiques. Pour l’instant, nous avançons sur des projets de distillations sous vide, très lentes. Cela demande de gros investissements, mais au vu des ouvertures possibles et de l’immensité de ce champ de recherche, cela en vaut vraiment la peine!

Même si ça devient petit à petit tendance, on n’a pas l’habitude de trouver ce type de proposition au restaurant. Quel a été l’accueil des clients?
Super positif! Les clientes et clients qui ne boivent pas ou peu d’alcool sont reconnaissants envers notre travail et heureux de pouvoir avoir une expérience complète. Les autres ont de plus en plus envie d’essayer une autre aventure, c’est donc bingo! Mais le phénomène n’a clairement pas pris le pas sur les propositions alcoolisées ou simplement les repas accompagnés de vin.

Qu’est-ce qu’on retrouve dans les verres lors de ce menu?
Il faudra venir au Beau-Rivage pour le savoir! (rires) Plus sérieusement, pour accompagner les berlingots, j’ai opté pour du kombucha très fin à la citronnelle, qui a subi deux fermentations. Le «Gyokuro», un thé vert du Japon, se marie bien aux huîtres et au brochet fumé, et pour sublimer les viandes, nous sommes partis sur une sélection de cafés grands crus infusés doucement «à la Chemex» et servis tièdes.

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