Indémodable. Qui dit Chandeleur dit crêpes. Et qui dit crêpes dit, bien sûr, crêpes au sucre, au chocolat fondu ou encore à la confiture. Mais s'il y a une recette qui reste indémodable, c'est bien celle de crêpes Suzette. Cette entéléchie de la cuisine bourgeoise à la française est une crêpe nappée d'une délicate sauce sucrée à l'orange et au Grand Marnier, souvent servie flambée. Au Lausanne Palace, «c'est un grand classique de la Brasserie Grand-Chêne, dans le top 2 des desserts les plus demandés», assure le sous-chef exécutif Guillaume Soares. Elle est servie flambée, à table ou au bar, et sa recette est inchangée depuis… «en tout cas depuis longtemps!», plaisante le chef.
(Grande photo ci-dessus: la crêpe Suzette du Lausanne-Palace servie à la Brasserie Grand-Chêne)

 

Suzette? D'où vient la crêpe Suzette? Les historiens se perdent en hypothèses. L'une d'entre elles avance que c'est l'un des disciples d'Auguste Escoffier, un certain Henri Charpentier, qui en aurait la paternité. Celui-ci écrit en effet dans sa biographie parue en 1934 les avoir inventées dans un restaurant à Monaco. Y compris l'étape du flambage, survenu par accident sur des crêpes qu'il s'apprêtait à servir au prince de Galles et futur roi d'Angleterre, Edouard VII. Quant au nom Suzette, il aurait été suggéré par le prince, en honneur d'une petite fille qui figurait parmi les convives. Une belle histoire, toutefois improbable: des restaurants parisiens l'avaient déjà à leurs menus en 1891. Né en 1880, Charpentier n'aurait eu que dix ou onze ans cette année-là.

 

Centenaire. Peut-être Henri Charpentier a-t-il simplement ajouté le fameux flambage à une recette déjà existante. Car les crêpes Suzette de 1891 avaient une particularité: elles n'étaient alors pas flambées, écrit le journaliste gastronomique Philippe Toinard, coauteur de «La délicieuse cuisine française traditionnelle».

Retour à Escoffier. Cette proto-crêpe Suzette pourrait quant à elle être l'œuvre d'Auguste Escoffier lui-même. En 1890, le chef aurait servi des crêpes pour ce même Prince de Galles, pas à Monaco, mais à Londres. Particularité de ces crêpes: elles étaient accommodées d'une sauce au caramel et au beurre, aromatisée à l'orange et au Grand Marnier - la liqueur populaire ayant justement été créée en 1880, soit deux ans plus tôt. Nom de cette sauce: le beurre «Suzette», soi-disant sur suggestion du prince, qui voulait honorer la présence non pas d'une petite fille, mais de la comédienne Suzanne Reichenberg, attablée avec lui. Toujours est-il qu'en 1903, la recette est consignée dans son ouvrage mythique «Le Guide culinaire»

 

Suzette entre en scène. Enfin, une troisième hypothèse renvoie à un autre cuisinier, un dénommé Monsieur Joseph, exerçant dans un restaurant parisien situé non loin de la Comédie-Française. Celui-ci aurait fourni pour une pièce de théâtre qui s'y jouait en 1897 des crêpes flambées au Grand Marnier. Crêpes qui devaient faire une entrée remarquée sur scène, portées par une soubrette jouée par une certaine Suzanne Reichenberg, rappelle Philippe Toinard. Plausible, mais peu probable: on se situe tout de même six ans après l'apparition des crêpes Suzette sur les menus parisiens.

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Tradition oblige, les crêpes Suzette du Lausanne Palace sont préparées à table, ou au bar lorsque la place vient à manquer.

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Les crêpes baignent dans le beurre Suzette avant d'être flambées au Grand Marnier.

Un classique. Quelle que soit son origine précise, la crêpe Suzette reste un monument des desserts. Sans doute parce que l'association de saveurs fonctionne si bien, selon Guillaume Soares, «avec le flambage qui vient casser le côté sucré et équilibrer le tout», mais aussi tout le rituel qui va avec: «La préparation en salle, c'est aussi une bonne odeur de caramel, d'orange, de flambage, ça donne l'eau à la bouche. Même si on n'a plus faim, on en commande une parce que c'est un dessert qui se partage facilement», se réjouit le chef. Comme beaucoup de recettes vintage, ce dessert réconfortant effectue un retour en force dans les restaurants et les livres de cuisine. Eric Frechon, Alain Ducasse, Philippe Etchebest ou encore Jean Imbert: bien des chefs ont leur recette. Joyeuse Chandeleur!

 

Photos: Lukas Müller


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