Nicolas Darnauguilhem, cet automne, vous avez été désigné «Green Chef of the year» 2025. Cette récompense vous a-t-elle touché?
J'étais effectivement très heureux d'obtenir ce titre avec, cerise sur le gâteau, un point supplémentaire dans le GaultMillau. Ces honneurs nous ont confirmé que nous sommes sur la bonne voie, que nous avons franchi un cap. Nos producteurs et nos fournisseurs, sans lesquels tout cela ne serait pas possible, sont également fiers de cette distinction. Par ailleurs, l'écho dans la presse et les félicitations de nos clients ont été impressionnants!
Vous cuisinez essentiellement bio, est-ce important pour vos clients?
Utiliser le plus possible de produits durables est probablement plus important pour le résultat final dans l'assiette que pour les clients, qui ne viennent pas forcément à la Pinte des Mossettes pour ça. Mais si nous parvenons quand même à convaincre quelques esprits critiques que le bio, c'est mieux, c'est bénéfique. Nous aimerions simplement prouver que la gastronomie et la durabilité ne sont pas antinomiques.
Cuisinez-vous aussi bio à la maison?
Bien entendu. Je suis convaincu que l'on peut changer le monde avec les aliments que l'on achète et que l'on mange.
L'année dernière, vous avez engagé un jardinier au lieu d'un nouveau cuisinier. Vous ne regrettez pas cette décision?
Pas le moins du monde! Thomas Philippe fait un excellent travail dans notre jardin potager.
Et que fait-il maintenant en hiver?
Il y a toujours du travail pour lui. Le jardin a dû être préparé pour l'hiver, et nous planifions déjà ce qui sera planté l'année prochaine. En outre, il y a toujours beaucoup de choses intéressantes qui poussent en ce moment: différentes sortes de choux, qui deviennent encore plus sucrés après chaque gelée. Des endives et des poireaux sous les protections en plastique, ainsi que quelques herbes aromatiques, complètent le tout.
Votre plat signature, cette salade que vous composez chaque jour différemment, vous la servez aussi en hiver?
En effet. Et de nombreux ingrédients qui composent notre «herbier vivant» proviennent encore de notre jardin, malgré le fait que l'hiver ait déjà commencé. Je les assaisonne individuellement avec notre propre sauce et je le sers avec un peu de fromage de la rérgion, après le plat principal.
Pour un chef «vert», est-il difficile de passer l'hiver?
Il est important de planifier dès l'été ce que l'on va faire en hiver. Les légumes peuvent être séchés, conservés dans l'huile ou fermentés. Et il va de soi que, pendant les mois froids, il y a plus de viande dans notre menu. En été, il y a peut-être un plat avec de la viande locale, alors qu'en ce moment, elle est présente dans l'un des snacks apéritifs, dans une entrée et, bien entendu, dans le plat principal.
Beaucoup de clients viennent-ils chez vous en hiver?
Bien sûr, d'autant plus que, le soir, l'expérience est encore plus intense que d'habitude. Dehors, il fait déjà froid et sombre quand on arrive au restaurant. Le feu de cheminée qui vous y attend rend l'expérience encore plus chaleureuse.
La route menant au restaurant est-elle toujours dégagée?
Oui, la route est régulièrement déneigée. Cependant, si les conditions météo deviennent trop délicates, nous proposons aux clients de venir les chercher au village, en bas.
Vous attendez quand même le printemps avec impatience?
Oui et non. J'aime quand les saisons changent. Les mois les plus difficiles pour moi sont mars et avril. À cette période, mes collègues du sud ou du Tessin sont déjà en train de préparer les légumes de printemps, alors que nous n'avons pas cette chance. Nous devons encore nous contenter en grande partie de quelques plantes sauvages, des poissons et de puiser dans nos réserves. Avec, chaque matin, l'espoir que le printemps et donc les premières fraises arrivent rapidement (rires).
Quel est votre mois préféré?
Sans doute septembre. Les légumes de printemps en deuxième semis, comme les radis, peuvent être récoltés. Les légumes d'été sont encore présents et les produits d'automne, comme les châtaignes ou les légumes d'hiver, font progressivement leur apparition.
Cela ressemble à un pays de cocagne…
Mais c'est aussi le mois le plus contraignant de l'année, car il faut faire mariner les tomates et sécher les champignons. En février et mars, je peux alors servir l'un de mes plats préférés, «Souvenirs de l'été dernier», une tarte aux tomates en conserve, aux poivrons et à l'huile de différentes fleurs.
Vous avez considérablement agrandi votre jardin au cours des deux dernières années. Êtes-vous désormais autosuffisant ?
Nous couvrons environ 30% de nos besoins en légumes. Mais même si notre jardin n'est pas assez grand, nous ne voulons plus augmenter sa taille. L'année prochaine, nous essaierons plutôt de cultiver notre parcelle de manière plus efficace, grâce à l'expérience acquise. De plus, j'aime travailler avec les agriculteurs de la région.
La météo vous a-t-elle posé problème l'an dernier?
En 2024, elle ne nous a en effet pas épargné. Espérons que nous aurons plus de chance l'année prochaine! Ceci dit, contrairement à un viticulteur, nous n'avons pas beaucoup à perdre, même si le temps est mauvais. En effet, si le jardin est bien organisé, il y a toujours une plante qui pousse, quel que soit le temps qu'il fait. Cette année, nous avons eu de fantastiques cardons sucrés, les plus délicieux que j'aie jamais mangés! Je me réjouis déjà d'en planter davantage pour pouvoir en faire un plat complet.
Vous considérez-vous comme un représentant de la cuisine alpine, au même titre qu'un Norbert Niederkofler ou qu'un Paolo Casanova?
Tous nos produits proviennent d'un rayon d'environ 50 kilomètres, et nous sommes vraiment au cœur des Alpes: vous pouvez donc effectivement parler de cuisine alpine. De toute manière, je pense que c'est une bonne chose de s'intéresser aux traditions culinaires locales et aux habitudes alimentaires de la région. Surtout aujourd'hui, alors que les techniques de cuisine se rapprochent de plus en plus dans le monde entier.
Vous avez quand même hésité à répondre…
Des étiquettes comme «cuisine alpine» peuvent aussi être restrictives. Si j'ai envie, par exemple, de faire une pizza avec des ingrédients alpins, je veux pouvoir le faire, même si la pizza vient d'une autre culture culinaire que les Alpes. C'est un peu comme le bio: je ne veux pas renoncer au merveilleux fromage de chèvre de mon voisin simplement parce qu'il n'est pas officiellement certifié.
À quoi faut-il s'attendre chez vous en 2025, à part la pizza alpine?
Pour moi, il sera essentiel que nous puissions mettre en œuvre nos projets de transformation dans les mois à venir. En effet, une rénovation en profondeur de la Pinte des Mossettes est une condition sine qua non pour passer un nouveau cap et faire encore mieux. Malheureusement, les autorités nous mettent actuellement quelques bâtons dans les roues. J'espère que nous trouverons un terrain d'entente, car je veux absolument rester ici, je me sens bien dans ces montagnes!
>> Nicolas Darnauguilhem est notre «Green Chef of the year» 2025, récompensé par Bio Cuisine et GaultMillau. À la Pinte des Mossettes, à Cerniat (FR), il enthousiasme les gastronomes avec une cuisine durable et des ingrédients de première qualité provenant uniquement de la région, voire même de son jardin. Son talent et le niveau de son travail lui ont fait gagner un point cette année, affichant désormais une note de 17/20.
Photos: Gabriel Monnet, Claudia Link, Thomas Buchwalder