Il revient souvent que vous êtes relativement jeune et, de surcroît, une femme. Cela vous dérange-t-il?
Je me sens jeune et forte. Parfois, je suis même encore une enfant dans la tête et je fais des blagues avec l'équipe, je ris de ceci et de cela. Même en tant que cheffe de brigade, on ne doit pas tout prendre au sérieux. Et effectivement: je suis une femme dans un monde d'hommes, ce n'est pas faux.
Une femme dirige-t-elle une brigade de cuisine différemment?
Le travail est dur pour tout le monde, mais il se peut que je sois plus sensible que beaucoup d'hommes. Je suis à l'écoute quand quelqu'un de mon équipe en a besoin. Récemment, j'ai remarqué que quelque chose n'allait pas avec l'un de mes cuisiniers. Il ne voulait pas en parler au début, mais il avait un mal de dos terrible. Nous en avons discuté et je l'ai renvoyé chez lui afin qu'il prenne soin de lui. Les hommes sont parfois trop fiers, c'est pour cela que je le dis. Pourtant, nous ne sommes pas des robots.
Pourtant, le respect est nécessaire dans une brigade de cuisine. Comment l'exigez-vous?
Il faut mettre la main à la pâte! Je n'arrive pas au travail juste avant le service de midi, mais j'aide partout dès le matin, par exemple pour la mise en place. S'il faut éplucher dix kilos de carottes, j'en fais cinq.
Mais vous devez quand même remplir le poste de chef.
Bien sûr que oui. Je crée de nouveaux plats chaque mois, je répartis les postes, je veille à ce que tous les collaborateurs respectent l'heure de service, etc…
Votre style de cuisine est-il «féminin»?
J'entends régulièrement cette remarque, mais je me demande si c'est un cliché. Est-ce parce que je fais des plats très colorés? Parce que je coupe souvent les légumes en fleurs?
Et vous utilisez presque toujours des fruits dans vos plats.
Ce qui est amusant, c'est que je ne mange pratiquement pas de fruits. Je ne mange jamais de salade de fruits!
Quelle a été votre plus belle création en 2024?
L'écrevisse à la fraise et au concombre? Le thon à la betterave et à la crème double de Gruyère? Je n'ai pas vraiment de favori. Les invités ont peut-être été particulièrement surpris par la combinaison entre foie gras, moutarde et estragon.
Est-ce que ces remarques vous ont choquée ou irritée?
Pour être honnête, lorsque j'ai commencé à travailler ici à l'été 2023, je pouvais avoir l'impression de déranger auprès de certains collègues de l'EHL. Mais comme j'ai réussi cette année à obtenir un point de plus au GaultMillau que mon prédécesseur, ainsi que de maintenir l'étoile Michelin, les réserves à ce sujet ont disparu.
Revenons dans l'assiette: peut-on réellement combiner tout et n'importe quoi?
Selon moi, il faut toujours essayer les combinaisons qui détonnent. Mais il est étonnant de voir tout ce qui fonctionne. Par exemple, nous avons récemment combiné des Saint-Jacques avec du litchi et des salsifis.
Cela semble délirant. Mais comment en arrive-t-on à de tels mariages?
C'est mon grand secret. Mes idées se basent généralement sur les couleurs des ingrédients. Je trouve que le blanc et le vert vont bien ensemble, par exemple. C'est ainsi qu'est née une combinaison comme les asperges vertes avec des cacahuètes et du citron kaffir. Un autre exemple? La castagnole (petit poisson) avec du céleri, de la mandarine et de la réglisse, donc des composants noirs, blancs et orange. Ce genre d'alliance me plaît bien.
Vous êtes-vous fixé des objectifs pour 2025?
Bien sûr, je rêve de temps en temps de notes encore plus élevées dans les guides - mais à l'EHL, cela ne devrait pas être facile. Mais ce n'est pas non plus impossible.
Est-il difficile de travailler avec des étudiants qui changent chaque semaine?
Beaucoup d'étudiants sont nerveux lors de leur premier jour de travail en cuisine. Et il y a aussi des équipes qui s'harmonisent moins que d'autres. Mais ce qui est agréable, c'est surtout la curiosité qu'ils apportent tous. Et nous transmettons volontiers notre savoir.
Sur la page d'accueil du Berceau des Sens, il est question de «la beauté de l'imperfection». Êtes-vous d'accord avec cette formule?
En fait, nous ne pouvons pas nous permettre d'être imparfaits. Simplement parce que nous ne voulons pas transmettre d'erreurs aux étudiants. S'il s'agissait de mon propre restaurant, je choisirais peut-être une autre formulation et citerais Léonard de Vinci: «Les détails font la perfection, mais la perfection n'est pas un détail.»
Comment vous motivez-vous pour votre journée de travail?
Au réveil, vers 7 heures, j'ai besoin de deux expressos, sans sucre et sans lait. Ensuite, je vais à la salle de sport pendant une heure, et ensuite seulement, au travail. Là, je donne des instructions à l'équipe, je vérifie les e-mails, je participe à la mise en place. Ou je bricole de nouveaux plats. Et avant le service de midi, je dois absolument manger quelque chose!
Et comment se déroule la suite de la journée?
L'après-midi aussi, je teste régulièrement des plats, je gère les stocks, ou j'aide l'équipe afin que tout le monde puisse partir à temps. Cela dépend des jours et des besoins.
Le soir, vous mangez encore une fois après le service?
En général, c'est une salade avec un morceau de pain, avant de discuter avec mon compagnon, de faire des câlins à mon lapin ou de regarder la télévision. Je me couche généralement vers deux heures du matin.
Et avant d'aller vous coucher, c'est plutôt Negroni ou verre de vin rouge?
Cela dépend du jour de la semaine. Le vendredi, ça peut être du Negroni.
Vos nombreux tatouages sont également un sujet récurrent. Avez-vous déjà un motif en tête pour 2025?
Après le douloureux citron de cet été, ce sera peut-être un renard. Ou un croissant. Nous verrons au cours des prochains mois.
>> Lucrèce Lacchio est la «Découverte romande de l'année» 2025 de GaultMillau. À 31 ans, ette Française d'origine dirige le Berceau des Sens à l'EHL Hospitality Business School, membre des Grandes Tables de Suisse. Pour son travail et sa cuisine d'excellence, elle a obtenu cette année 17 points.
Photos: Gabriel Monnet, Adrian Bretscher